Where my demons hide | Hope [Terminé]

Elle était venue et, comme toujours, ça c’était mal passé. Je savais bien au fond que je ne devais ces rares visites qu’à une volonté de se faire bien voir de sa hiérarchie. L’abandon d’enfant était quelque chose contre lequel le Directeur Kramer avait toujours lutté. Il suffisait de voir le nombre d’orphelins que comptait la BGU. Ces visites suivaient un protocole très élaboré. Ma mère voulait un compte rendu de mes progrès que je lui fournissais le plus succinctement possible. Ensuite venait la litanie de lacunes et de défauts que je n’arriverais jamais à combler. Ma seule réussite à ses yeux avait été ma nomination comme présidente du comité de discipline. Et encore, je le savais uniquement car elle ne m’avait fait aucun reproche à ce sujet. Pour l’instant. Notre entrevue aurait dû se terminer rapidement par des platitudes d’usage avant qu’elle ne me laisse pour disparaitre dans ses appartements. Seulement voilà, j’avais osé poser la question. Cette question qui pesait entre nous comme un fil invisible et qui me menaçait comme une épée de Damoclès. Qui était mon père ? La gifle était partie sans que je la voie venir. J’avais senti toute la violence du geste, ma tête partant sur le côté et le léger craquement de mes cervicales. Ça avait fait très mal, je peux vous le dire. Ne doutez jamais de la force d’un SEED de rang A. Particulièrement lorsqu’il est poussé à bout.

Elle me prit ensuite par les épaules et me secoua jusqu’à  capter pleinement mon attention. Il fallait que j’abandonne tout de suite cette nouvelle lubie. C’était un moins que rien qui ne valait pas qu’on s’intéresse à lui. Il était la pire erreur de sa vie et elle voulait en effacer à jamais le souvenir. Je lu entre les lignes ce qu’elle ne disait pas. J’étais un constant rappel de cet homme. C’était sans doute pour cela qu’elle ne m’aimait pas. Je ne sais toujours pas ce qui m’a pris à ce moment-là. Sa carte d’accès dépassait de sa poche. J’étais plutôt douée en cours de vol. Ça ne m’a pas été très difficile de subtiliser l’objet de ma convoitise.

Et maintenant j’étais là, allongée toute habillée sur mon lit à contempler cette carte d’accès. Je me sentais coupable d’avoir volé cette carte. Je n’avais pratiquement jamais rien fait de répréhensible de toute ma vie. A par cette fois-là, quand j’avais huit ans et que j’avais volé une part de tarte aux pommes dans les cuisines. Je m’étais tellement fait rabrouer par le comité disciplinaire de l’époque que je n’avais plus jamais rien fait de contraire au règlement.

Et pourtant j’étais là, tournant et retournant cette carte d’accès. Ce que je prévoyais de faire était mal. Je le savais. Pourtant, j’avais tellement besoin de réponse. De savoir qui j’étais. C’était comme si une partie du puzzle manquait. Une respiration. Deux respirations. Trois respirations. Ca y est, il était temps que je me mette debout. C’était le plus difficile. Une fois en mouvement, j’étais concentrée sur ma mission. Etouffant autant que possible ma culpabilité malgré mes jambes flageolantes et mon angoisse diffuse.

Il était tard. C’était le meilleur moment pour ce que je m’apprêtais à faire. Aucune de ces pensées ne m’aidaient vraiment ceci dit. Je traversais le couloir des dortoirs comme dans un autre monde. Je marchais encore et encore. Je passais devant le cadet Caravella sans même la voir. Un coin de mon esprit un peu plus alerte nota qu’il était tard, qu’elle était dehors et qu’elle ne portait pas l’uniforme réglementaire. Ce n’était pas le moment. En plus, avec ce que j’allais faire, je n’étais pas en mesure de lui dire quoi que ce soit. Ce serait le comble de l’hypocrisie. Je ne l’avais jamais été jusque-là. Hypocrite je veux dire. Mais là, j’avais l’impression que des néons rouges s’allumaient sur mon front.

Voilà, j’étais arrivée devant l’ascenseur menant au bureau du Directeur. Mes épaules étaient tellement crispées qu’elles me faisaient souffrir le martyre. Je fis quelques petits mouvements pour les assouplir. C’était aussi pour retarder le moment fatidique. Je sentais des perles de sueurs dégouliner le long de mon dos et je ne pus m’empêcher de penser que c’était dégoûtant. Les mains tremblantes, je passais la carte de sécurité dans la fente prévue à cet effet. On pouvait y lire en lettres majuscules le nom ANASTASIA BLACKSTONE. Ma mère, en lettres capitales. Unique accès aux réponses que je cherchais. Comme c’était ironique.

J’inspirais un bon coup avant de me lancer. Un pas, puis l’autre et me voilà dans l’ascenseur. Je me sens blême et je ferme les yeux quelques secondes pour me ressaisir. J’entends la porte se refermer avant d’ouvrir les yeux. Je pâlis encore un peu plus, si tant est que cela est possible. Devant moi se tient le cadet Caravella.

« Il ne manquait plus que ça… »

Ma vie est officiellement fichue.

C'est pas une journée facile, non c'est encore la merde. Pas la petite bouse qu'on évite sur le trottoir mais la vraie, celle qui vous éclabousse à force de remuer dedans et qui vous tape sur les nerfs. Et ici, je sens que cette journée va atteindre son apogée quand au bout du couloir j’aperçois la silhouette du concierge... Euh pardon, de Blackstone. Avec toutes les énormités que mes oreilles ont déjà enduré, je ne suis pas prête à endurer un nouveau blâme de la part de la petite blondinette du comité disciplinaire. Le couvre-feu ? Sans doute, je ne me suis jamais formalisée sur un horaire précis à respecter pour m'enfermer dans une chambre. Ma tenue ? N'est pas adéquate, mais c'est rarement le cas. Ou l'autre andouille qui m'aurait déjà balancé ? Et merde, croiser Eirena serait le clou de la soirée.

Mais bon, j'assume mes conneries, depuis mon arrivée ici, je ne suis certainement pas un cadet modèle mais on ne peut jamais me reprocher d'avoir inventée des excuses ou de nier l'évidence. Je me contenterai d'un : " Oui il est tard. Oui ce n'est pas l'uniforme. Et oui j'ai bien envoyé mon pied dans les parties intimes d'un c%#$/ ! Sanction ? ". Je n'ai pas envie de m'étendre sur les raisons de mes actes, les reconnaître sera amplement suffisant. Et si cela ne regarde pas Blackstone ou ses subalternes du comité et les instructeurs, il faut savoir une chose, je ne regrette pas du tout mes actes.

D'accord tout à commencer ce matin avec ma voisine de classe qui a entendu une de ses amies qui le tient d'un gars qui connait un gars... En bref des rumeurs. Rien de nouveau en somme, c'est le passe-temps favoris des cadets que de casser du sucre sur le dos d'un autre. Cela me fait ni chaud, ni froid. Sauf quand c'est mon matricule qui prend cher. Et ce que l'on peut dire c'est que les rumeurs furent folkloriques. Les messes-basses et les regard en coin toute la matinée, personne à ma table au midi et l’après-midi du même crue. Bon, je suis incapable de retenir autant de débilités mais je suis une fille sensible, le crétin qui s'amuse à balancer tout ça va morfler comme les précédent et je sais exactement qui et quoi frapper.

Le gars en question, m'avait déclarer sa flamme la veille. Un macho de base, se prenant pour le meilleur cadet de l'histoire et voulant s'approprier un nouveau trophée en pensant à moi. C'est dingue ce que le fait d'être bien gaulée et modeste peut vous attirer toutes les brutes hormonées en manque de la BGU. Ce à quoi j'ai répondu sèchement " Va crever crétin. ". Bon, je fais mine d'avoir changer d'avis lorsque que je le recroise un peu plus tard dans la journée, lui filant rencard dans la bibliothèque. D'où le port du jeans plutôt que de la jupe réglementaire au moment de le rejoindre entre deux rangées de livre, le pauvre, autant de livre autour de lui, son analphabétisme à du en prendre un fameux coup. Le reste coule de source, un bon coup entre les cuisses pour le plier en deux et une promesse que si j'entends encore la moindre rumeur émanant de lui, je ne serais pas aussi clémente. Le jeans ? C'est mieux pour latter les mecs.

D'où maintenant, le moment fatidique de me prendre un sermon de Blackstone dans les couloirs menant aux dortoirs. A une minute prés je m'en tirait à bon compte mais non, cette fille est toujours prête à intervenir dés lors que je mets un pied de travers. Blasée, j'en lève déjà les mains comme pour me rendre mais surprise, la blondinette passe devant moi sans même me remarquer ! Han ! Cette honte, je me sens même vexée sur le coup. Ce faire ainsi ignorer par la figure même de l'autorité au sein des cadets c'est... Frustrant ! Journée de merde, soirée de merde. L'ennui c'est que je pourrais simplement hausser les épaules, tourner les talons et m'en tirer à bon compte jusque dans ma chambre et c'est tout.

Pas question ! Blackstone m'ignorant totalement, c'est un peu le T-rex de l'autorité niant un bon steak étiqueté "bouffe-moi".  C'est pas net, et en bonne cadet n'en faisant qu'à sa tête, il faut tirer ça au clair ! Suivre Eirena s'avère être un jeu d'enfant tellement elle semble déconnecté de la réalité. Les hypothèses vont de bon train; shootée ?  Ivre ? Somnambule ou en état de choc ? Je prends les paris sur victime d'un sorcière Mog la possédant mentalement. Nos pas nous mènent vers l'ascenseur. Mince, elle ne va pas braver le couvre-feu et ne pas m'engueuler out ça pour rejoindre une salle de cours. C'est naze... Ho bordel. Une carte d’accès, j'en suis bouche-bée. Cette gamine n'est pas entrain de faire ce que je pense ? Qu'une façon de le savoir, je profite de son passage en mode zombie pour me glisser in-extremis dans l’ascenseur juste avant sa fermeture.

Reprenant ses esprits et pâlir à ma vue, c'est d'un sourire mesquin et une pointe d'ironie que j'accueille sa surprise et ce qui semble être une pointe de honte.

" Même étage. "

S'en suit un long silence juste perturbé par le bruit de l'ascenseur. Désagréablement, je ne peut m'empêcher de fixer Blackstone dans les yeux comme pour la faire culpabiliser un peu plus encore avant de briser la glace au même instant que l'ascenseur dépasse le premier étage, le seul auquel les cadets sont autorisés à s'y rendre. Insistant bien sur la tonalité de certains mots comme pour les transformer en poignards acerbes

" C'est bien ce que je pense. TOI. Tu es VRAIMENT entrain de faire ce à quoi je pense ? Tu es bien EIRENA BLACKSTONE, PRÉSIDENTE du comité DISCIPLINAIRE ?  Pincez-moi, je suis entrain de rêver ! "

Non, je n'essais pas de comprendre pourquoi elle fait cela ni même si elle réalise que cela va bien plus loin qu'enfreindre le code vestimentaire de la BGU. L'important c'est qu'elle le fait avec ce qui semble être la carte d’accès d'un Seed. Et le pire, c'est que c'est elle ! Elle quoi ! Merde !

Même étage ? Elle se fiche de moi ? Ca en serait presque risible si je ne sentais pas la vie presque tranquille que je m’étais construite s’effriter tout autour de moi. J’ai bien choisi mon moment pour faire ma crise de rébellion il faut croire. Bah, les regrets ne me serviront à rien. Ce qu’il fallait surtout c’est que je reprenne consistance autrement elle allait me dévorer toute crue. C’est ce que faisaient en général les petites filles riches et rebelles non ? Pour être honnête, je ne la connaissais pas vraiment cette fille. Elle ne s’adaptait pas à la vie militaire et ne faisait pas vraiment d’effort. Pourtant, elle était plutôt douée pour un cadet intégré si tard. Dommage qu’elle soit aussi imperméable à l’autorité. Je n’aimais pas beaucoup qu’on résiste à la mienne, d’autorité. Et puis jouer les sentinelles de la BGU me permettait en quelque sorte de racheter ma dette envers l’établissement. La BGU m’avait élevé après tout.

Je pouvais sentir le regard froid et accusateur que Caravella posait sur moi. Je ne la blâmais pas. Me voir enfreindre le règlement c’était un peu comme voir le directeur danser la gigue au milieu de la cafétéria. Ca n’arrivait pas, tout simplement. Enfin jusqu’à ce soit en tout cas.

Lentement, comme au ralenti je vis un grand 1 s’afficher dans l’ascenseur qui continuait son impitoyable ascension. Ce fut le moment que mon désespoir ambulant fini par ouvrir la bouche. Une vraie vipère. Elle savait choisir ses mots pour qu’ils fassent le plus mal possible. Mais je le méritais, je le savais. J’encaissais donc sans broncher. Grimaçant simplement de façon légère à certains de ces mots. Je levais donc les bras au niveau de ma tête comme pour me rendre.

« Je plaide coupable. »

Elle n’allait pas vouloir que je m’explique en plus quand même ? Non. A son regard, elle m’avait déjà condamnée. Mon regard passa de mes mains levées à son regard accusateur et sa mine renfrognée. Et là, je ne saurais dire exactement ce qui s’est passé. Je plaiderais sans doute la folie mais j’ai éclaté de rire. Un rire nerveux et tout sauf joyeux. C’était plutôt le contrecoup de ma journée de merde et de tous mes problèmes qui explosaient d’un seul coup. Ma légère petite crise d’hystérie passée, je m’essuyais le coin de l’œil et retrouvait une contenance.

« Excuse-moi mais c’est tellement surréaliste. On dirait que l’univers c’est inversé. »

Je tourne et retourne la carte d’accès entre mes doigts avec précaution, comme si c’était la boîte de Pandore. Après la terreur de ces dernières minutes, je sens éclore en moi une nouvelle détermination. Mon regard se fait plus dur, déterminé. Un bip résonne, indiquant l’arrivée au 2ème étage. Il me faut encore une fois passer la carte de sécurité. Mon nom de famille s’affiche alors ainsi que la mention ‘accès autorisé’. La porte s’ouvre et je la franchis avant de me tourner vers Caravella. L’obscurité règne dans le bureau, seule la lumière de l’ascenseur l’éclaire encore. Cela donne un aspect très cinématographique à la scène.

« Je sais que ce que je fais est mal. Contraire au règlement et au-delà de ça à la loi. Mais j’ai besoin de réponses et si on ne veut pas me les donner j’irais les chercher. Tu peux me dénoncer, j’assumerais mes actes. »

Je me retourne sans lui laisser le temps de répondre. Aurait-elle seulement trouvé quelque chose à dire ? Je dois faire vite avant que le personnel de sécurité ne me mette la main dessus. Je sors une lampe de ma poche et l’allume juste avant que l’obscurité n’emplisse à nouveau la pièce. L’ascenseur c’est refermé. A moi de jouer maintenant. J’ouvre les tiroirs cherchant celui contenant les dossiers des SEED et cadets. Je trouve enfin ce qui m’intéresse, dans un placard. Pas très sécurisé tout ça. Mais après tout, rares sont ceux hormis le directeur lui-même à avoir une carte d’accès permanente pour ce bureau.

Dans ce placard s’étalent les dossiers allant de A à C. Je m’empare des deux étiquetés au nom BLACKSTONE. Encore à genou devant le placard, je feuillette rapidement mon dossier. Deux papiers attirent mon attention et je les garde en main avant de me relever. Il s’agit de mon acte de naissance précisant que je suis la fille d’Anastasia Blackstone et que je suis née dans l’infirmerie de la BGU. Le deuxième est un papier écrit de la main de ma mère dans lequel elle renonce à ses droits et devoirs parentaux à mon égard pour me confier à la BGU. Les deux documents avaient seulement une journée d’écart. Je n’étais pas au courant de ça et cela faisait mal. Le nom de mon père n’apparaissait nulle part. Il allait me falloir fouiner d’avantage.

Je faisais donc volteface pour étudier les dossiers sur le bureau du directeur lorsque je tombais de nouveau nez à nez avec Caravella. J’en restais bouche bée. Pourquoi n’était-elle pas partie prévenir tout le monde ? Pourquoi risquait-elle de se faire pincer ici avec moi ? Vu ses antécédents personne ne lui laisserait le bénéfice du doute.

Elle était bel et bien toujours là, en face de moi. Caravella ne s’était pas empressée d’aller me dénoncer ce qui était surprenant en soi. Après tout, vu le nombre de fois où je l’avais reprise pour telle ou telle infraction mineure. Qu’est ce qui la poussait à rester ? La curiosité ? L’envie de savoir ce que je faisais là ? Je n’en savais fichtrement rien. J’aurais dû en être soulagée mais je ne l’étais pas vraiment. J’avais l’impression d’avoir laissé mes neurones dans mon dortoir et d’être uniquement mue par l’instinct.

J’écoutais donc sa petite tirade. Elle était plus amusante que je ne l’aurais cru au premier abord. A vrai dire jusqu’ici elle m’agaçait prodigieusement mais en fait, je n’avais jamais vraiment fait l’effort de la connaître. Elle détonnait dans mon petit univers bien cadré. Cela m’avait sans doute un peu effrayée. Bien sûr, la mention du coup sur la tête me fit avoir un petit rire amer.

« Pas un coup sur la tête non. Les visites de ma mère sont toujours pires que ça. Si je peux encore l’appeler ma mère vue qu’apparemment elle m’a quasiment abandonnée. »

La deuxième partie de ma phrase, je l’avais dite un ton plus bas. Plus pour moi-même que pour ma camarade d’effraction. Je jetais un regard désabusé aux deux morceaux de papiers que j’avais retiré de mon dossier. J’avais toujours pensé qu’en me gardant toutes ces années, la BGU avait fait une faveur à ma mère. A la vérité, je leur appartenais tout simplement. Cela n’aurait pas du me faire aussi mal. Je pensais m’être plus endurcie que ça.

Je vois ensuite Caravella quitter son trône pour se diriger vers le placard que je viens d’ouvrir. Comprenant ce qu’elle veut faire je fronce les sourcils avant de me raviser. Bah ! Au point où on en est je ne vais pas la priver de ce petit plaisir quand même. Je ne suis pas sûre qu’elle aimera ce qu’elle trouvera dans son dossier ceci dit. Son dossier était bien plus épais que le mien. Mon dossier ne contenait que les 2 feuilles que j’en avais retirées, mes résultats aux différents examens et ma nomination comme présidente du comité disciplinaire. Rien de plus, rien de moins. C’était presque déprimant. Ah, ça y est Caravella était tombé sur mes comptes rendus de ses exploits. La petite pique ne manqua pas.

« En fait, je n’ai jamais eu autant de rapports à remplir que ça avant ton arrivée. En 20 ans à la BGU je n’ai jamais vu quelqu’un collectionner autant les ennuis »

Je pris quelques secondes pour réfléchir à sa dernière question. Enfin, c’était plus une pique qu’une question mais cela méritait réflexion.

« Je ne pense pas qu’ils me laisseraient rédiger le rapport sur mes propres faits d’armes. Ni même qu’ils me laisseraient dans le comité. » Je haussais les épaules comme si cela m’importait peu. « Au moins, s’ils ne m’expulsent pas, mes nuits seront plus longues. Les patrouilles et les rapports ça prend du temps. »

Je ne pense pas qu’elle m’écoutait vraiment. Elle semblait concentrée sur son dossier et ce qu’elle y lisait n’avait pas l’air de lui plaire vu la vitesse l’expression de son visage se durcissait. Lorsqu’elle se plaint de ses parents, je ne pus m’empêcher de glisser :

« Sur ce point-là au moins on est d’accord. C’est pour ça que j’ai décidé de venir ici. J’en ai assez des non-dits et des mensonges. J’ai besoin de savoir pourquoi elle me déteste à ce point. »

D’accooooord. Il était vraiment temps que je me calme. En plus d’entrer par effraction dans le bureau du Directeur voilà que j’étais à deux doigts de raconter ma vie à la dernière personne au monde qui avait besoin de l’apprendre. A vrai dire, personne dans les cadets et SEED de moins de 25 ans ne connaissait mon histoire. Les regards de pitié de certains membres du personnel étaient bien suffisants même s’ils m’avaient juré de n’en parler à personne. Je n’avais pas spécialement envie que dès demain toute la BGU soit au courant de ma pathétique petite vie.

Je laissais Hope digéré la nouvelle qu’elle venait d’apprendre. Cela avait sans doute quelque chose à voir avec son dossier, et sans doute ses parents. Je savais qu’ils faisaient partie de la liste des généreux donataires de la BGU. J’avais même entendu les instructeurs parler de leur potentielle présence à un gala organisé par le SEED. Je n’en savais pas plus, j’évitais en général d’écouter aux portes. Je me concentrais donc sur le dossier de ma mère. Bla,blabla enfance normale. Bla, blabla a perdu ses parents lors de la guerre. Blabla, bla dossier irréprochable, première de sa promotion, lacunes en magie. Je savais déjà tout ça. Ce qui attira mon attention fut sa mission d’infiltration alors qu’elle était une toute jeune SEED. C’était un an avant ma naissance. Le rapport de mission avait été censuré sur presque sa totalité. Le nom du binôme de ma mère avait également été effacé. L’ordre de mission affichait une mission de routine et de collecte d’information à Esthar. Le fait que le dossier ait été censuré me laissait penser que tout ne s’était pas passé comme prévu. Vu la durée de cette mission, c’était pendant cette période que ma mère était tombée enceinte. J’avais vraiment envie de lire le rapport de mission complet. Une mission manuscrite avait été ajoutée « Cf. Projet S ». Je supposais que le dossier en question ne serait pas aussi facile d’accès que ceux que j’avais dérobé précédemment. Je détaillais précipitamment la pièce. Si j’étais le vieux Kramer, où est-ce que je cacherais des dossiers confidentiels ? Bingo. Je repérais une sorte de grand placard avec une serrure compliquée. Bon. Voilà qui était au-dessus de mes capacités. Je n’avais pas encore eu le module « ouverture de serrures » de la BGU.

Je m’approchais de l’objet de mes désirs en soupirant. Non, définitivement je n’étais pas de taille. Je me tournais donc vers ma complice de la nuit.

« Je suppose que tu ne sais pas comment ouvrir ce genre de serrures ? »

La terre ne tournait définitivement pus rond si je demandais de l'aide à Caravella.

Je médite les paroles de Caravella dans un coin de ma tête. Oui, bien sûr, avec n’importe quel autre parent cela pourrait se tenir. Malheureusement, ma mère n’est pas comme toutes les autres. On parle quand même d’une machine de guerre spécialisée dans les missions d’assassinat. Elle a autant de compassion que Jack l’Eventreur et encore moins de patience en ce qui me concerne.

« Tu ne la connais pas. Honnêtement, je préfèrerais cent fois me retrouver nez à nez avec Kramer là tout de suite que d’argumenter avec ma mère. Ca ne servirait à rien de toute façon, elle sent que j’ai peur d’elle. »

Voilà, c’était dit. Ma plus grande faille exposée au grand jour pour que ma Némésis puisse s’en repaître. Je n’étais vraiment pas dans mon état normal aujourd’hui. Jamais je n’avais autant parlé de ma vie à quelqu’un en une seule fois. Il faut croire que la pénombre et les effractions menaient aux confidences. C’est presque grisant en fait, d’enfreindre les règles. Je commence enfin à comprendre ce qui pousse mes condisciples à ne pas respecter le règlement.

Du coin de l’œil, je vois que Hope expurge son dossier des diverses notes disciplinaires qu’il contient. Je n’ai pas le cœur de lui dire qu’il en existe également une copie numérique. Surtout que je me souviens très bien des nombreuses nuits blanches que j’ai passé à rédiger les rapports en question.

Enfin bref, pendant que Hope faisait mumuse avec ses petits papiers, j’avais analysé la pièce afin de trouver où étaient susceptibles d’être rangées les informations que je cherchais. Manque de chance, c’était verrouillé. Je demandais donc conseil à ma complice de la soirée. Bien entendu, elle ronchonne et se plaint que je risque de faire un rapport sur elle concernant les serrures.

« Honnêtement, là tout de suite, je ne pense pas être en mesure de faire des rapports sur qui que ce soit. »

Bah oui, forcément, c’était beaucoup plus facile de jouer les mères la vertu quand je n’avais jamais rien eu à me reprocher. Tout allait devenir beaucoup plus compliqué. Mais, quand je me lançais dans quelque chose, j’allais jusqu’au bout. Les regrets, c’était pour les faibles. Quand elle me dit de l’ouvrir moi-même, je hoche la tête. Normal. Elle ne va tout de même pas se mouiller pour moi, je la comprends  et c’est légitime. Entre nous, je suis beaucoup moins obtuse que ce que j’aime faire croire aux autres cadets. Parfois, certaines de leurs incartades m’amusent plus qu’autre chose. Tandis que j’écoute attentivement ses explications, mon cerveau semble se dédoubler. D’un côté, la raison me dicte de faire marche arrière et de retourner au dortoir. De l’autre, mon cœur me dit que cela fait trop longtemps que je vis dans l’ignorance. Mon regard se fait plus déterminé.

« J’ai besoin de réponses. »

Une lueur bleutée s’élève dans ma main droite et je prends mon élan. Alors que je coure en direction du fameux placard, un bruit métallique se fait entendre et me coupe dans mon élan. Il ne me faut guère plus d’un centième de seconde pour comprendre ce qu’il se passe, me figer et tenter tant bien que mal de recouvrir mon équilibre. Le sort interrompu a presque gelé ma main qui affiche une couleur mauve assez peu engageante.

« Et merde ! »

Je lance un regard paniqué dans la direction de Caravella pour voir si elle aussi à compris le danger. En fait, je ne prends pas le temps d’analyser son visage. A la vitesse de l’éclair, j’attrape le bras de ma complice et l’entraine avec moi sous le bureau. Avec un peu de chance, on ne nous remarquera pas. J’ai peu d’espoir mais bon…

Je reste silencieuse tandis que j’entends l’ascenseur remonter vers notre position. Le bip annonçant l’ouverture des portes semble résonner dans le bureau. Je prie pour que l’agent de la BGU ne remarque pas les dossiers éparpillés sur le bureau ou pour qu’il pense que c’est normal. En fait, je prie pour qu’il soit un vrai crétin. Je vois le faisceau de sa lampe torche balayer la pièce. Heureusement, j’ai pensé à éteindre la mienne. J’en suis presque à retenir ma respiration. Il faut dire qu’à deux là-dessous ce n’est pas spécialement confortable. Mais, la sécurité du panneau de bois qui nous masque au regard de l’intrus n’a pas de prix. Bientôt, je l’entends grommeler et retourner sur ses pas. Aurions-nous réussi ? Le bruit de l’ascenseur raisonne à nouveau et ma respiration devient régulière. J’attends encore une bonne minute avant de lâcher :

« Comment peut-on être aussi stupide ? Quand je pense qu’eux sont payés pour faire des rondes… »

Pas étonnant que la BGU ai dû créer un comité disciplinaire. S’il fallait compter sur les agents de sécurité, la BGU serait un vrai zoo. Alors que je posais la main sur le panneau de bois au-dessus de ma tête, je sentis un objet métallique. Il était scotché au-dessous du bureau. Ce ne pouvait quand même pas être ce que je crois ? Si ? Oui. C’était bien une clé. Je l’arrachais d’un coup sec, manquant de peu d’assommer Hope au passage.

« Ce n’est pas possible… Si on nous facilite autant les choses, ce n’est même plus vraiment une effraction. J’ai presque honte. »

M’extirpant enfin de sous le bureau et rallumant ma lampe torche, je montrais  Hope la clé à points lasers que je venais de trouver. Franchement Papy Kramer, c’est une véritable honte ! Ni une, ni deux, je me dirigeais vers le fameux placard. J’utilisais la clé pour l’ouvrir et en admirais le contenu.

Bon… j’étais un peu déçue je dois dire. Il était loin de contenir tous les secrets de la BGU comme je l’avais espéré. On pouvait y trouver un étage réservé au whisky de Kramer et à ses encas. Bretzel et cacahuètes comprises.

« Et bien, Kramer ne doit pas faire que travailler dans ce bureau. »

Sur un autre il y avait les dossiers financiers de la BGU avec une liste des donateurs, des sommes données et des contreparties exigées et pour finir les dossiers des différents SEED ayant désertés. Je commençais à grogner de frustration lorsque les mots « Projet S » écrit dans un coin d’un des dossiers m’interpellèrent. Un des déserteurs avait participé à la même mission que ma mère. Alors que j’ouvrais la première page du dossier, quelque chose me frappa d’emblée. Cet homme et moi, nous avions exactement les mêmes yeux. Cela faisait trop de coïncidences, j’étais sidérée. Trop choquée pour ouvrir la bouche, mon regard se perdit dans le vague.

HJ : Mieux vaut tard que jamais x)

Je sentais bien qu’elle jubilait. Je parle de Hope évidemment. Quel spectacle je devais être pour elle. Miss Discipline foutant en l’air tout ce qu’elle avait mis des années à accomplir. Comme si elle pouvait savoir ce que je ressentais ou même qui j’étais réellement. Pour elle, pour tous les cadets d’ailleurs, je n’étais que Blackstone, la concierge, la garce du comité disciplinaire, celle qu’il valait mieux ne pas croiser. Oui, je faisais respecter le règlement à la lettre. Oui j’étais froide, fière et intransigeante. Comment aurait-il pu en être autrement ? Vous avez vu le serpent qui me sert de modèle maternel ? Mon monde a été fait de règle dès ma naissance. Les endroits ou j’avais le droit d’aller et à quelles heures, les lieux qui m’étaient interdits. Les gens à qui je ne devais pas adresser la parole, ceux qui tolérait ma présence. Les corvées que je devais accomplir pour justifier ma présence en ces lieux, mes horaires d’entrainement ou même mon inscription officielle à la BGU. Des règles, encore des règles, toujours des règles. C’était le cadre de mon existence, la seule chose que j’ai jamais connu. Est-ce qu’elle s’imaginait à quel point s’était difficile et contre nature pour moi de faire tout ça ? A quel stade psychologique je me trouvais pour me retrouver ici, en pleine effraction, avec elle entre toutes les personnes ? J’étais à bout. Nerveusement à bout. Ma dispute avec ma mère, son mépris une fois de trop, ma confrontation avec Hope, mes découvertes précédentes… tout cela n’était rien comparé à ce qui allait bientôt me frapper en pleine face.

En voyant la clé dans ma petite main, la tête de Hope valait presque la peine d’être venue, tiens. A croire que les dieux du crime étaient avec moi ce soir. Je devrais peut être songer à me reconvertir… Je fronce les sourcils en l’entendant parler. A vrai dire, je n’ai jamais imaginé ce que ce serait de sortir de la BGU. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle me disait. Bien sûr j’avais appris des manuels de géopolitique donc je situais les différentes villes et continents mais Horizon ? Non, ça ne me disait rien.

« Horizon ? Je ne sais même pas où c’est. De toute façon je partirais avec un handicap, je n’ai jamais mis un pied en dehors de la BGU. Et puis c'est hors de question! J'espère bien pouvoir sortir d’ici sans me faire prendre, embarquer les dossiers c’est le meilleur moyen pour que la BGU ouvre une enquête ! »

Si j’avais su à ce moment-là à quel point mes paroles étaient risibles… Bon, je faisais la fière en répondant à Hope mais je reposais peu à peu les pieds sur terre et les mots, effraction, espionnage et cour martiale résonnaient de plus en plus dans ma tête. Tout cela n’était pas bon, pas bon du tout. Plus j’y réfléchissais et moins je voyais d’issue favorable à notre petite visite nocturne. Cela commençait à devenir effrayant.

C’est après que tout c’est gâté. Quand j’ai mis la main sur ce fameux dossier. Et que je me suis perdue. Ce n’est qu’en entendant la question de Hope que je revenais à la réalité. D’une voix blanche, je lui répondis :

« C’est probable… »

Je me forçais à lire les quelques informations qui n’étaient pas noircies. Toutes les informations importantes concernant la mission avaient été cachées. Ne restaient que quelques mots qui étaient comme autant de coups de poignards. Echec de la mission. Abandon de sa partenaire. Libération de prisonniers. Désertion. Haute trahison. Recherché mort ou vif.

Incapable de contrôler le tremblement de mes mains, je lâchais le dossier qui rencontra le sol comme s’il était au ralenti. J’étais livide. C’est à peine si mes jambes me soutenaient.

« Tout le monde savait… des menteurs. Tous des menteurs. »

Mes paroles n’étaient qu’un murmure mais vu le silence qui régnait, nul doute que Hope m’avait entendue. J’en avais presque oublié sa présence. J’étais au plus mal. Choquée comme jamais mais aussi terriblement en colère. Alors que je me remettais petit à petit de mon surplus d’émotions, mes poings se serrèrent tout seuls de colère. Tour prenait un jour nouveau. Les chuchotements quand j’étais petite, l’attitude de ma mère. Son besoin que je sois toujours parfaite et que je sois irréprochable. L’attitude de Kramer. Et surtout, le pourquoi du comment de l’interdiction formelle que j’avais de quitter l’enceinte de la BGU. Furieuse, je ramassais le dossier et le remettait en place avant de me tourner vers ma partenaire de crime.

« Il faut que je frappe quelque chose. Allons-nous-en. »

Je ne mettrais pas ma main à couper que mon acolyte se montre coopérative. Mais là, ce n’était vraiment pas le moment.

HJ : Au fait, maintenant que tu as le nombre de points tu peux réclamer ta GF si tu veux ^^